Quoi qu’il advienne au cours de ces Championnats du Monde, le grand malchanceux de ces derniers côté français restera sans doute Jérémie Galland. Le coureur de la Saur-Sojasun, âgé de 29 ans, s’apprêtait à courir ses premiers Mondiaux lorsqu’une chute, le propulsant sur le bitume britannique (il courait alors le Tour de Grande-Bretagne), brisa à la fois sa clavicule droite et ses espoirs de revêtir le maillot tricolore sur le circuit de Valkenburg. Cette cruelle désillusion n’a cependant pas écopée sa gentillesse, puisqu’il a accepté de répondre aux questions de PCM France (et nous l’en remercions encore).

 

PCM France : Avant toute chose, comment s’est passée ton opération ?
Jérémie Galland : Ca s’est bien passé. J’avais une fracture en quatre segments et là j’ai une plaque avec sept vis.

PCMF : As-tu reçu des messages de soutien depuis ta chute ?
JG : Oui oui, d’un peu tout le monde, des coureurs, de l’entourage, de l’équipe …

PCMF :Comment cette chute sur le Tour de Grande-Bretagne s’est-elle produite ?
JG : C’était à six kilomètres de l’arrivée de l’étape, au Tour de Grande-Bretagne, durant une descente, il y avait un virage serré sur la droite. Certains coureurs du groupe dont je faisais partie ont été « tout droit » et sont tombés, moi j’ai pu freiner à temps et amorcer mon virage sauf que derrière moi il y a un coureur qui n’a pas pu freiner ou virer et qui m’est rentré dedans par la droite, à l’intérieur du virage.

PCMF : As-tu su tout de suite qu’il y avait quelque chose de cassé ?
JG : Avec la violence du choc … Quand j’étais assis par terre, j’ai tout de suite touché mon épaule parce que je savais que j’étais tombé fort dessus, même si j’avais pas forcément mal sur le coup. Quand j’ai touché, j’ai senti l’os ressortir donc j’ai compris. C’est pas la première fois que ça m’arrive : j’ai déjà eu la clavicule gauche il y a un an, au mois de février.

PCMF : Avant-hier (NDLA : mercredi 19 septembre, l’interview ayant été réalisée le vendredi 21 septembre), un coureur de l’équipe Euskaltel, Victor Cabedo, est décédé à l’entraînement, renversé par un automobiliste. Est-ce que ça t’es déjà arrivé d’avoir maille à partir avec des automobilistes, de frôler l’accident à l’entraînement ?
JG : Ah oui, très régulièrement, j’ai presque envie de dire à chaque sortie. Les gens, lorsqu’ils sont dans leur voiture, se croient parfois tout permis et ne se rendent pas compte qu’on est aussi sur les routes.

PCMF : On va revenir si tu le veux bien à tes tout débuts. Ton père est marchand de cycles à Montgeron : est-ce que rétrospectivement, ça a contribué à te plonger dans une ambiance « vélo », à éveiller ton intérêt pour ce sport ?
JG : Oui forcément, j’ai toujours été dans ce milieu-là depuis tout petit. Je n’ai jamais été forcé à faire du vélo mais j’étais dedans depuis toujours donc ça a eu une influence indéniable.

PCMF : A quel âge as-tu commencé le cyclisme ?
JG : J’ai vraiment commencé à onze ans.

PCMF : Qu’est-ce qui te plaisait le plus dans le cyclisme à cet âge-là ?
JG : Je sais pas trop … Moi je voulais faire comme ceux que je voyais, les plus grands … Je pense que si mon père, ma famille avaient été dans un autre milieu, j’aurais certainement fait autre chose. Là, ça s’est fait comme ça, ça m’a plu et puis voilà.

PCMF : A quel moment as-tu songé faire du cyclisme ta profession, à l’envisager comme une éventualité plausible ?
JG : J’y ai songé rapidement, dès la catégorie cadets, voire même minimes, dans lesquelles j’ai commencé à gagner pas mal de courses régionales. Ca a été un rêve, puis une perspective assez tôt.

PCMF : Avant de passer professionnel, tu as effectué deux stages de fin de saison dans des équipes pro (Cofidis fin 2005 et Agritubel fin 2006) qui n’ont pas débouché sur un contrat. Qu’est-ce qui faisait qu’à l’époque ça ne marchait pas ?
JG : Je ne sais pas si c’est une question de chance … Je sais que l’année où j’étais chez Cofidis ils n’ont pas pris de néo-pro français, et l’année d’après chez Agritubel, ils n’ont pas engagé de néo-pro cette année (NDLA : ce n’est pas tout à fait exact, Agritubel a signé dans l’intersaison 2006/2007 Romain Feillu, tout juste vice-champion du monde Espoirs sur route, mais qui avait été auparavant trois fois stagiaire lors des fins de saison 2004, 2005 et 2006), ils ont pris Nicolas Jalabert et Nicolas Vogondy. Donc ces années-là les circonstances ne m’ont pas été favorables.

PCMF : Tu signes malgré tout chez Auber 93 en 2007. Comment se sont passés les premiers contacts et la signature avec cette équipe ?
JG :Il y avait déjà eu des contacts établis à la fin de l’année précédente, lorsque j’étais stagiaire chez Cofidis et ça ne s’était pas fait, de peu. Puis l’année suivante, ils m’ont recontacté et comme Agritubel ne m’a gardé, ils m’ont pris.

PCMF : Qu’est-ce qui vous a le plus surpris, s’il y a eu une surprise, une fois que vous étiez partie intégrante du milieu pro ?
JG : Ce qui m’a le plus surpris, peut-être, c’est la manière différente d’aborder et de courir les courses. Alors qu’en amateurs tout le monde fait la course dès le départ, chez les pros, tout est beaucoup plus structuré, hiérarchisé, que ce soit entre les équipes ou à l’intérieur même des équipes, avec les équipiers, etc. Il y a une espèce d’ordre établi, des schémas de course assez stéréotypés, beaucoup moins d’imprévus que ce soit dans le déroulement de la course ou dans ceux qu’on retrouve dans le final …

PCMF : En 2009, vous rejoignez l’équipe Besson Chaussures-Sojasun, qui vient tout juste d’être créée. Qu’est-ce qui vous a motivé pour rejoindre cette formation tout juste balbutiante ?
JG : Ca faisait deux ans que j’étais chez Auber, une équipe de niveau Continental, pour débuter et apprendre, donc je voulais voir autre chose et puis le projet de Besson Chaussures m’a convaincu ; même si c’était une équipe naissante, c’était prévu que ça évolue et ça a bien évolué, donc j’en suis content.

PCMF : Justement, quel était le projet de l’équipe que l’on t’a soumis au moment de signer ?
JG : C’était un projet qui comprenait des bons coureurs déjà expérimentés – ça, déjà, ça m’a plu … – et qui envisageait de franchir les étapes petit à petit, avec le Tour de France et de belles courses en ligne de mire.

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Kid A

PCMF : Malgré que vous ayez déjà été retenu comme remplaçant l’an passé, est-ce que le fait que Laurent Jalabert vous ait appelé en tant que titulaire pour les prochains Championnats du Monde vous a surpris ?
JG : Non, ça ne m’a pas surpris parce que je pense que je méritais cette place et que je pense que j’aurais tenu mon rôle comme il faut. Donc non, aucunement surpris.

PCMF : Est-ce qu’un rôle précis t’avait déjà été assigné dans l’équipe de France : protéger un leader, partir dans les échappées matinales, mener la poursuite au cas où, etc. ?
JG : On n’avait pas encore eu le temps d’en parler. Pour Laurent Jalabert, la répartition des rôles et la tactique devaient être déjà établies dans sa tête mais on n’en avait pas encore discuté précisément.

PCMF : Toujours à propos de la sélection tricolore, es-tu étonné de ne pas y voir ton coéquipier Julien Simon, pourtant en pleine forme cette fin de saison (et sa victoire au GP de Wallonie) ?
JG : Etonné, oui et non. C’est vrai que sur la saison qu’il a réalisé, il mérite largement sa place. Après, dans l’optique qu’a Laurent Jalabert de constituer une équipe autour d’un leader unique, en l’occurrence Thomas Voeckler, son argumentation tient la route. Ce sont des choix. Après, sur le papier, sur la forme physique, c’est clair qu’il a sa place mais le sélectionneur a fait des choix comme il l’a expliqué au moment de la liste des quatorze présélectionnés, peut-être ne pensait-il pas qu’il allait encore marcher si fort.

PCMF : Avec pas mal de places d’honneur, une non-participation au Tour, une convocation bleu-blanc-rouge aux Mondiaux hélas avortée, comment juges-tu ta saison 2012 ?
JG : C’est sûr que ce n’est pas ma plus belle saison : je n’ai pas gagné, j’ai eu un petit passage à vide après Paris-Nice jusqu’en milieu de saison suite à une maladie. C’est dommage de terminer là-dessus (NDLA : sa chute et sa fracture de la clavicule) parce que début août je revenais en forme, j’enchaînais les résultats et j’escomptais faire une bonne fin de saison, avec ce Mondial qui se profilait et puis d’autres belles courses.

PCMF : Comment définirais-tu ton rôle au sein de l’équipe Saur-Sojasun ?
JG : J’ai quasi un rôle de capitaine de route – le terme n’est sûrement pas le bon mais c’est à peu près ça … – parce que je commence à avoir de l’expérience et qu’en général je suis toujours à aller à l’avant dans la course, que ce soit au niveau du placement, de la motivation, etc. ; et en même temps, je suis un coureur qui est capable d’amener des résultats sur pratiquement tous les types de terrains. Donc je suis un équipier le plus souvent, et leader dans certains cas.

PCMF : L’équipe Saur-Sojasun, malgré de très bons résultats (1ère de l’Europa Tour), connaît une grande restructuration pour l’an prochain entre le départ du sponsor principal Saur, de plusieurs coureurs d’importance dont le leader Coppel. Comment, de l’intérieur, vis-tu ces modifications ? Et penses-tu que cette réorganisation contribuera à ce que l’on confie un rôle plus prépondérant la saison prochaine ?
JG : Etant donné que Jérôme (Coppel) s’en va et qu’il n’a pas été remplacé à son poste de leader, l’équipe va avoir une approche totalement différente de certaines courses, comme les épreuves par étapes. De ce fait, des coureurs comme moi, ou d’autres, auront des responsabilités différentes et une manière de courir qui sera sans doute différente.

PCMF : Vous aurez plus de liberté pour partir dans les échappées et faire des « coups » en franc-tireur mais plus de responsabilités en termes de résultats maintenant que la « sécurité » du classement général assuré par un Coppel n’est plus assurée …
JG : Oui, c’est certain. Sur une épreuve comme Paris-Nice, peut-être que sur certaines étapes, on va pouvoir rester plus au chaud et faire un peu moins de travail et du coup, avoir plus de force pour d’autres étapes.

PCMF : Ca fait maintenant deux saisons (depuis une étape du Tour du Limousin 2010 me semble-t-il) que tu n’as pas remporté de succès. Est-ce que le goût de la victoire te manque ou te dis-tu que le travail accompli en faveur de tes leaders (Coppel, Simon) compense cette absence de victoire ?
JG : Bien sûr que la victoire me manque. Je fais du vélo pour gagner. Parfois, il ne me manque pas grand-chose, peut-être un petit peu de réussite ou un petit déclic qui me permettrait de gagner une belle course. Je pense que je n’en suis vraiment pas loin, même sur des courses de très haut niveau. Donc j’espère que ça le fera l’année prochaine !

PCMF : Quelle course rêverais-tu de remporter ?
JG : Je n’ai pas de course précise. J’aime bien les courses d’un jour avec un profil un peu difficile, mais surtout j’aimerais gagner une course « à la pédale », où il faut aller la chercher …

PCMF : Un Championnat de France, par exemple, ça ne te déplairait pas …
JG : Non effectivement, un Championnat de France, ça ne me déplairait pas.

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Etape plane

PCMF : Quel est le coureur avec qui tu t’entends le mieux dans le peloton et pourquoi ?
JG : Il y a un coureur de l’équipe avec lequel je m’entends très bien, c’est Yannick Talabardon, parce qu’on habite pas très loin l’un de l’autre et qu’on a pas mal de points communs. D’ailleurs, il sera mon témoin de mariage au mois d’octobre.

PCMF : Ta saison est finie : quelle va être, grosso modo, ton programme d’entraînement et de reprise jusqu’à la saison prochaine ?
JG : Mais je n’ai pas encore dit mon dernier mot pour cette saison. Je me suis fait opéré lundi, je vais reprendre doucement, j’espère pouvoir recourir avant la fin de saison parce que je n’ai pas envie de rester sur un échec et que j’ai envie de continuer encore un peu. Si ça se passe bien, je devrais recourir en fin de saison. Si j’ai trop mal je n’insisterai pas, mais mon objectif est de revenir avant la fin de l’année, sur Paris-Bourges, Paris-Tours, le Tour de Vendée voire avant mais ça se décidera au jour au jour en fonction de mon état et des places restantes dans l’équipe …

PCMF : Je suppose qu’avec une fracture de la clavicule, il y a pas mal d’activités qui sont proscrites (à commencer par le vélo). Du coup, comment tu t’occupes pendant cette période d’inactivité forcée ?
JG : J’ai pas mal de choses à faire. Je vais me marier en fin d’année donc il y a plein de petits détails à régler. Et puis je ne suis pas du genre à rester inactif donc je bouge quand même et je ne m’ennuie pas.

PCMF : Regarderas-tu les Championnats du Monde dimanche à la télé ?
JG : C’est une question que je me pose. Je pense que oui, même si ce sera un petit peu dur au début de se dire que j’aurais dû y être normalement mais bon, j’aime le vélo, il faut relativiser : ça aurait pu être pire …

PCMF : Un petit pronostic pour ces Championnats du Monde ?
JG : C’est difficile sachant que je ne connais pas exactement le parcours. Je pense que ça va être dur, que la météo va aussi jouer un rôle important, que le vainqueur sera forcément un homme fort. Je ne serais pas étonné de voir un Français dans les premières places. Ca peut être Voeckler mais une échappée partie d’un peu plus loin pourrait très bien résister et profiter d’un marquage entre les costauds pour créer la surprise.

PCMF : Joues-tu à Pro Cycling Manager ?
JG : J’y jouais il y a longtemps, aux débuts du jeu. J’y joue beaucoup moins désormais parce que j’ai moins le temps et puis j’ai des enfants …

PCMF : Quel effet cela fait-il d’avoir un double dans un jeu vidéo ?
JG : C’est sympa, c’est marrant. Au début je prenais mon petit bonhomme (sic) et il n’avait pas de grosses compétences ; j’espère qu’il a été amélioré depuis. (rires)

PCMF : En matière de goûts artistiques, si tu avais trois groupes ou chanteurs, trois livres et trois films à sauver, lesquels seraient-ils ?
JG : En films, je mettrais les trois Seigneurs des Anneaux. En musique, Patrice, Michael Jackson et Keziah Jones. En bouquins, je lis très peu ; le dernier livre que j’ai lu, c’était Si c’est un homme, de Primo Levi, un livre sur les camps de concentration.

PCMF : Enfin, dernière question, quelle est l’anecdote la plus drôle ou non qui t’es arrivée dans le peloton et que le grand public ignore ?
JG : Là comme ça, franchement je ne vois pas trop. Il faudrait que j’y réfléchisse mais là, je ne saurais dire …

PCMF : Ce n’est pas grave. Merci beaucoup en tout cas pour nous avoir accordé un peu de votre temps pour cette interview.

Interview de Jérémie Galland