Photo de Romain Sicard

Confirmation et arrivée : comment se faire une place dans le cyclisme moderne ?

 

Entre les amateurs et les professionnels, le passage est toujours difficile, même pour les plus grands champions. Le niveau n’est plus le même. L’opposition à des coureurs plus expérimentés et la pression mise par les médias en troublent beaucoup, qui ne réussiront jamais à sauter le pas. D’autres y arriveront après plusieurs années d’errance, alors qu’ils ne parvenaient pas à exploiter pleinement leur potentiel. Mais tous les nouveaux venus ne sont pas condamnés à errer dans les profondeurs du classement. Il arrive chaque année que des néo-pros brillent dès leurs toutes premières courses, ce qui ne leur assurera pas pour autant de tenir toute leur carrière sans craquer.

Un français qui confirme : Arnaud Démare

Arnaud Démare fait partie de cette jeune génération de coureurs français qui n’ont pas froid aux yeux et qui engrangent les résultats. Le sprinter français était très attendu à son passage chez les pros, et il n’a pas déçu.
Chez les jeunes, il montre un niveau très prometteur, devenant notamment vice-champion du monde junior en 2009. L’année suivante, il rejoint le CC Nogent-sur-Oise, qui a notamment formé par le passé Christophe Riblon, Romain Feillu ou William Bonnet. Il n’y passera que deux saisons mais accrochera de nombreuses victoires durant ses deux dernières années avant le passage chez les pros. En 2010, il remporte le Grand Prix de la ville de Pérenchies, devant un certain Adrien Petit. Un peu plus d’un an plus tard, le résultat est le même, mais aux championnats du monde espoirs. Démare, fort de huit victoires dans la saison, s’impose au sprint à Copenhague, très bien lancé par le coureur de la Cofidis. Point commun entre les deux : ils ont été coéquipiers au Team Wasquehal et au CC Nogent-sur-Oise. Sauf que le natif d’Arras a un an de plus et est déjà professionnel en 2011. Arnaud Démare franchit le pas l’année suivante, en rejoignant FDJ, où il était stagiaire fin 2011.
Il n’attendra pas longtemps avant de lever les bras pour la première fois chez les pros puisqu’au Qatar il va profiter de la chute de Mark Cavendish lors de la sixième étape pour remporter le bouquet. En juin, il est battu par Nacer Bouhanni aux Championnats de France, mais montre qu’il fait partie des meilleurs sprinters mondiaux en remportant la Vattenfall Cyclassics devant André Greipel. Sprinter relativement complet, Démare a également remporté Le Samyn ou Cholet-Pays de Loire cette même année 2012.
Le coureur de la FDJ.fr confirme sa montée en puissance en 2013, qu’il termine avec neuf victoires à la clé. Il remporte notamment les Quatre Jours de Dunkerque grâce aux trois premières étapes qu’il a remportées au sprint. Il a réussi à passer les bosses de la quatrième étape pour s’adjuger le général, prouvant ainsi sa diversité. Au GP de Denain, il s’affirme comme le meilleur sprinter français en devançant Nacer Bouhanni et Bryan Coquard. En fin de saison, il devance John Degenkolb au GP d’Isbergues.

Le retour des Colombiens

Parfois, la confirmation peut prendre du temps. Mais, dans certains pays, elle est quasiment inévitable, comme si les coureurs étaient préparés à supporter la pression. C’est le cas de la jeune génération colombienne, qui explose depuis le début des années 2010. Carlos Betancur, Nairo Quintana, Rigoberto Uran et Sergio Henao ont tous réalisé une très bonne saison 2013, quelques années après le début de leur carrière professionnelle. S’il leur a donc fallu plusieurs années pour se lancer, ils semblent à présent véritablement prêts à affronter les meilleurs grimpeurs du Monde sans fléchir, ce qui n’est pas le cas de tous les jeunes grimpeurs aux grands espoirs d’avenir.
La deuxième place de Nairo Quintana sur le Tour de France a bien sûr été la plus médiatisée des performances colombiennes cette année, principalement parce qu’elle est survenue sur la course la plus suivie au Monde. Mais il ne faut pas oublier que le coureur de la Movistar, à seulement 23 ans, a également remporté le Tour du Pays Basque et signé de très belles performances sur le reste de la saison, que ce soit en Catalogne ou à Burgos. Pour sa deuxième année dans une top team, le plus grand espoir mondial parmi les grimpeurs a marqué les esprits, après trois saisons plus intimiste en Colombie. Il a fallu un an de plus à Sergio Henao pour percer. Arrivé l’an dernier chez Sky après avoir, lui aussi, brillé pendant plusieurs saisons dans une équipe de son pays, il avait signé une belle saison, mais semble avoir explosé cette année avec trois victoires, dont un contre-la-montre par équipe sur le Giro. Il a notamment triomphé au Pays Basque, et en finissant dans les dix premiers de cette dernière course, de la Flèche Wallonne, du Tour de Pologne et de l’Amstel Gold Race, il a prouvé qu’il pouvait être très régulier. Il lui manque une référence sur un Grand Tour, puisqu’il a été incapable de faire mieux que sa neuvième place sur le Giro 2012, à cause notamment de la mauvaise stratégie Sky. Quant à Uran, c’est au bout de trois saisons chez Caisse d’Epargne et deux chez Sky qu’il s’est enfin vraiment révélé, terminant deuxième du Giro, dont il a remporté une étape. Ses performances en 2012 avaient marqué une ascension pour lui, qui devrait à présent briller autant, voire plus, que ses compatriotes.
La Colombie permet de voir que la confirmation ne se fait pas en une saison, mais au bout de plusieurs. Nombreux sont les néo-pros à briller dès leurs débuts, mais cela ne leur assure pas un avenir radieux. Par contre, d’excellentes performances après avoir pris le temps de se mettre à la température du monde professionnel est au moins la preuve d’un mental suffisant pour performer.

Néanmoins, le monde du cyclisme ne se résume hélas pas à des coureurs répondant aux attentes, et malheureusement certains n’arrivent pas à confirmer les espoirs placés en eux.

Les espoirs refoulés

Dans cette première catégorie d’espoirs ayant déçu, deux coureurs peuvent servir de parfaits exemples : Romain Sicard et Evgueni Petrov.
Concernant le Basque, les déceptions sont multiples, et pour cause : vainqueur d’étape au Plateau de Beille lors de la Ronde de l’Isard, vainqueur du Tour de l’Avenir et Champion du Monde espoir, son année 2009 le désigne immédiatement dans les médias « futur vainqueur du Tour de France », privilège qui lui vaut d’être cité au moins 36 fois à chaque étape du Tour de France par Thierry Adam. L’année suivante, il s’engage chez Euskatel (devenant au passage le deuxième français à rejoindre la structure basque après Thierry Elissalde). Commence alors la descente, avec pour seuls résultats des placettes glanées au fil des échappées. Pire, il est blessé à la fin de l’année 2011 lui faisant rater ce qui devait être son premier Grand Tour, la Vuelta. Depuis, aucun résultat significatif, si ce n’est une 5e place sur le Bola del Mundo lors du Tour d’Espagne qui eut pour seul effet de raviver un tantinet la flamme. Néanmoins, il y a de quoi espérer avec sa 12e place obtenue à l’Eneco Tour 2013 et son départ à Europcar qui, espérons-le, lui fera retrouver son niveau de 2009.
Passons au cas du Russe maintenant, Evgueni Petrov. Double champion du monde espoir 2000, bon dans à peu près tous les domaines, il affole le cyclisme mondial qui le voit déjà en futur Eddy Merckx. Passé pro chez Mapei, il glane une étape du Tour de l’Ain en 2001, le Classement général du Tour de Slovénie et de celui de l’Avenir en 2002, confirmant ainsi tout le bien pensé de lui. Son premier « trou » lui vient lors de l’année 2003 où, dorénavant dans l’équipe iBanesto, il n’obtient aucun résultat significatif cette année-là. Il décide donc de se relancer l’année suivante à la Saeco et termine 5e du Tour de Suisse. Ce résultat n’est hélas qu’un écran de fumée car changeant d’équipe l’année suivante, il se retrouve à la Lampre où il connaît son deuxième « trou ». Pire, il se retire du Tour de France à cause d’un contrôle sanguin non-conforme. Choisissant de continuer l’année suivante dans la même structure, il termine 5e du Tour d’Allemagne. L’année suivante marque son année la plus prolifique : une 7e place sur le Giro et une 8e sur Tirreno-Adriatico. Très vite, tout le monde pense que le Petrov des espoirs est de retour et se remet à croire en lui. Néanmoins, plus rien désormais si ce n’est une victoire sur le Giro 2010 en échappée. Si Petrov avait tout pour réussir, sa carrière est parsemée de mauvais choix, notamment au niveau des équipes : en plus des 4 citées, il a également couru chez Tinkoff Credit Systems, Katusha, Astana et Saxo-Tinkoff, ce manque de stabilité l’ayant certainement handicapé. Certes, ses résultats sont bien mieux que ceux d’un Romain Sicard par exemple, mais indignes de celui présenté comme le « plus grand espoir du cyclisme mondial ».

Les espoirs désespérés

Toutefois même lorsque certains ont réussi à franchir le pas et à briller parmi les professionnels, cela n’est pas forcément un gage de réussite On ne compte plus les éphémères feux de paille qui se sont éteint au grand dam de leurs managers.
L’un des exemples les plus flagrants est celui de Yaroslav Popovych. Enchainant deux très bons Giro en 2003 et 2004 avec l’équipe Landbouwkrediet (terminant 3ème et 5ème au général), il signe alors au sein de la très puissante Discovery Channel. Face à une telle concurrence l’Ukrainien a bien du mal à se faire une place de leader, mais il parvient tout de même à décrocher le classement de meilleur jeune sur la Grande Boucle, confirmant ainsi qu’il est un des grands espoirs du cyclisme. Avec le départ en retraite du Boss, voilà l’occasion de prendre du galon au sein de l’équipe. Mais voilà, la confirmation ne se fait pas et, après deux saisons difficiles, le voilà qui part chez Lotto pour aider Evans à gagner le Tour. Mais là encore, c’est la débandade, les déceptions et problèmes physique s’enchainent. Il parvient tout de même à relever la tête sur Paris Nice, terminant 3ème d’une édition peu mémorable. Son année 2009 est encore pire. Transféré à Astana où il retrouve Lance Armstrong, il est toujours dans l’ombre des nombreux leaders de l’équipe. Dès lors, il est clair que l’espoir que l’on voyait en lui s’est brulé les ailes et il n’est désormais qu’un simple équipier au service de l’équipe, son transfert chez RadioShack où il continue son travail de l’ombre confirmant cela. Toujours confronté à une concurrence féroce, l’homme de l’est n’a jamais fait le pari de rejoindre une équipe à la recherche d’un leader, comme ses anciens équipiers Vandevelde ou Danielson qui ont par la suite connu le succès. Surtout que, les années passant, son statut au sein du peloton coule à pic. Dans ces conditions, difficile de choisir ses courses et donc de performer. Popovych ou le coureur qui aura été trop fidèle à un certain Lance Armstrong, un boulet qu’il aura trainé de longues saisons et aux conséquences monumentales sur sa carrière.
Autre cas intéressant, celui de Peter Velits. Brillant chez les jeunes et montrant de grandes promesses à ses débuts au sein de l’équipe Milram, notamment sur les classiques. A l’issue d’une très bonne saison 2009 il signe dans la puissante équipe HTC-Colombia. Et c’est sur la Vuelta qu’il va impressionner, terminant 2ème (profitant du déclassement d’Ezequiel Mosquera) avec une étape en poche. A 25 ans, c’est le messie qui débarque chez HTC, qui cherche depuis longtemps un vrai leader pour les classements généraux, Kirchen ayant montré ses limites. Mais voilà, depuis, c’est le vide complet, un palmarès totalement vierge si l’on excepte le Tour d’Oman en 2012 (qui avait d’ailleurs rallumé la flamme un instant). Beaucoup pointent du doigts le fait que le Slovaque est bien souvent obligé de travailler lors des étapes plates pour un certain Mark Cavendish. Mais tout n’est pas perdu pour Velits qui est encore relativement jeune, à lui de couper le cordon et de rejoindre une équipe où il sera véritablement un leader. Son transfert chez BMC semble aller dans ce sens même si il devra faire avec un certain Tejay Van Garderen.

Pour conclure, il serait certes assez réducteur de réduire les espoirs à deux catégories, les passages ratés et les réussis. Néanmoins, il faut bien reconnaître que ces deux catégories sont fournies en coureurs. D’un côté il y a eu ceux que l’on aimerait appeler « prodiges », qui réussissent le passage chez les professionnels, accumulant les performances, les victoires et pour les meilleurs les records de précocité. Si dès leur première année, les premières places glanées ne sont pas très ronflantes, ce n’est qu’une question de temps pour que les victoires de prestige tombent dans leur escarcelle. De l’autre il y a ceux pour qui l’adaptation au monde professionnel est un véritable traumatisme, tant physique que psychologique. D’ailleurs, ils sont nombreux à craquer dans cette délicate période de leur carrière. Si certains n’ont pas les capacités suffisantes pour briller dans la cours des grands, d’autres s’effondrent après quelques coups d’éclats, qui laissaient entrevoir un brillant avenir. Blessures à répétition, mental insuffisant ou même simple malchance sont autant de pièges sur la route du néo-pro. A lui de les éviter.
Dominer le cyclisme chez les jeunes n’est donc pas un gage de succès dans le cyclisme professionnel, et il sera intéressant de voir comment s’orientent les carrières des deux principales révélations de cette année, Matej Mohoric et Davide Villela.

 

• ARTICLE RÉALISÉ PAR AG2R, HORSE, KENA & SCHLECKPOWER

Le cyclisme professionnel, adaptations inégales