Interview de François Pervis

À l’occasion des deux records du monde de François Pervis, PCM France ressort de ses tiroirs une interview de notre champion. Pervis nous dit tout, et nous donne l’occasion d’évoquer sa relation avec Pro Cycling Manager !

Les débuts
PCMFrance : A quel âge as-tu commencé la piste ? Qu’est-ce qui t’y a plu ?
François Pervis : J’ai commencé la piste vers l’âge de douze ans en même temps que tout le reste, à savoir l’école de cyclisme, le cyclo-cross, la route et le VTT. Ce qui me plaisait dans la piste c’était déjà le sprint mais surtout d’être acteur d’une course très courte. De tourner en rond avec ses potes, prendre des tours, sprinter, se relayer. Ce qui m’a plu, c’était surtout de voir tout le temps où tu es par rapport à tes adversaires.
PCMF : A quel moment t’es-tu dit que tu pouvais faire du cyclisme ton activité principale, de laquelle tu pourrais peut-être vivre ?
FP : Je ne me suis jamais dit ça car, quand j’ai choisi de me consacrer entièrement à la piste, je ne pensais pas en vivre. Je n’y connaissais rien à l’époque ; pour moi, seuls les routiers avaient un salaire. J’ai choisi la piste parce que ce qui se profilait devant moi en cadets et en juniors présageait du fait que je pouvais me faire un beau palmarès sur la piste.
PCMF : Y a-t-il un coureur qui tu as particulièrement admiré lorsque tu étais à l’école de cyclisme ? L’admiration est-elle restée lorsque tu l’as vu, si ça a été le cas, une fois que tu étais à l’intérieur du milieu cycliste ?
FP : J’admirais et j’admire toujours Mario Cipollini. Malheureusement, je n’ai jamais pu le rencontrer. C’était mon surnom lorsque j’étais en minimes et en cadets car je gagnais souvent au sprint.

PCMF : Lorsque tu as revêtu ton premier maillot de l’équipe de France ou de champion de France, qu’as-tu ressenti ? De la fierté ? L’envie d’aller encore plus haut ?
FP : La première fois que j’ai revêtu le maillot de l’équipe de France, j’étais en juniors 1 ; c’était à Saint-Denis-de-l’Hôtel [NDLA : commune du Loiret, située à une quinzaine de kilomètres à l’est d’Orléans] pour une Coupe d’Europe juniors. J’avais oublié ma licence à la maison et sur le chemin je m’étais dit que je ne pourrais pas courir sans ! J’ai bien couru et c’était une joie immense et une grande fierté de porter pour la première fois les couleurs de mon pays. J’ai même gagné ma course !
Pour le reste, j’ai été champion d’Europe et vice-champion du Monde avant d’être pour la première fois champion de France. Mais chaque Marseillaise me fait vibrer !
PCMF : A vouloir devenir un champion, je suppose qu’on ne vit pas une adolescence tout à fait normale. Quels étaient les avantages et les inconvénients de ce mode de vie extraordinaire (au sens premier du mot) ?
FP : Très tôt, je faisais tout pour réussir. Je me suis éloigné dès les jeunes catégories (minimes, cadets) de mes amis, qui en finissaient par s’inviter entre eux à leurs soirées, devant moi, sans me le demander car je refusais toujours. Ca a commencé par ce genre de chose qui ne fait pas plaisir, mais c’était mon choix.
Ensuite, une fois arrivé à l’INSEP [NDLA : l’Institut National des Sports et de l’Education Physique, créé en 1966 pour accueillir les sportifs olympiques de haut niveau], en juniors, la vie de moine a commencée. Tout est fait et pensé pour la récupération, la performance, pour être bien le lendemain à l’entraînement. Donc plus de sorties, pas de pratique d’un autre sport. Seul le dimanche est un jour de repos, à rester tranquille à la maison. Le sommeil et la nutrition sont très importants. Pas d’écarts. Mon entraînement et ma récupération passent avant tout, avant même ma fiancée, ce qui est parfois très dur à faire admettre. C’est beaucoup de contraintes et de sacrifices, ce qui génère souvent de grosses difficultés dans ma vie sociale, mais j’essaie de toujours gérer au plus juste. Et puis il y a l’entraînement, deux fois par jour. Je fais du sprint donc chaque sprint doit être fait à 100%, ce qui est très fatiguant physiquement et mentalement. De même pour la musculation, où je soulève dix à douze tonnes de fonte à chaque séance, des barres très lourdes qui, si je suis trop limite, peuvent me blesser comme ce fut le cas plusieurs fois.
Les avantages sont bien sûr les résultats quand ils sont à la hauteur de mes attentes. Le plaisir pris lorsque tu viens « sauter » ton adversaire sur la ligne ! C’est jouissif ! La Marseillaise lorsqu’elle retentit … Il y a aussi les voyages qui me font faire le tour du globe une ou deux fois par an. Malheureusement, neuf fois sur dix, je n’ai pas le temps pour visiter quoi que se soit. Je passe mon temps entre l’hôtel, la table de massage et la piste. Mais certains pays sont tout de même très dépaysant.
Sinon, je roule sur un « avion de chasse » [NDLA : son vélo] sur les plus belles pistes du monde. Je pars en stage au soleil pendant plusieurs semaines l’hiver. La fédération nous chouchoute et fait de son mieux avec ses partenaires pour faire évoluer la piste. Et un autre des avantages c’est d’avoir son nom dans Pro Cycling Manager (rires) !

 

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Règle n°1 : tracer son sillon.
Les Jeux Olympiques
PCMF : Certaines voix ont levé dernièrement un coin du voile sur l’ambiance de débauche qui règnerait parfois au village olympique : info, intox ou joker ?

 

FP : Tous les sportifs ne sont pas professionnels dans leur façon de faire et d’être. Les Jeux c’est comme une grande fête du sport ; une fois que les athlètes ont fini leurs compétitions, ils fêtent la fin de quatre ans de sacrifices et parfois leur(s) médaille(s) s’ils en ont gagné. Mais, personnellement, je n’ai rien vu dans le cyclisme et je ne suis pas au courant de faits qui ont pu faire la Une.
PCMF : Comment gère-t-on cette situation ambiguë que vous avez vécu lors des derniers JO, entre la non-participation (vous avez même été interdit de vous entraîner sur la piste en vertu de votre statut de remplaçant) et la nécessité d’être prêt à tout moment en cas de besoin ?
FP : Ma non-sélection est injustifiée puisque je remplissais beaucoup mieux les critères de sélection que le titulaire qui a été choisi [NDLA : Mickaël Bourgain]. C’est une chose que je n’ai toujours pas admise. A la suite de cette décision, forcement le moral n’y était plus, le physique non plus. J’ai pris du poids, je ne marchais pas, je traînais des pieds, tout effort était une plaie. J’ai même failli ne pas y aller pour méforme. Une fois sur place, j’ai tout de même fait de mon mieux pour soutenir les mecs de la vitesse par équipe puis Gregory Baugé en vitesse individuelle. Je devais rester professionnel jusqu’au bout pour intégrer la vitesse par équipes si un remplacement devait être effectué. Mais je n’ai jamais été en mesure de remplacer qui que ce soit.
PCMF : Avant les J.O., les Français semblaient avoir repris du poil de la bête dans la confrontation face aux Britanniques. Pourtant, ces Jeux ont vu une razzia britannique (sept titres plus deux podiums sur dix épreuves, la seule épreuve où les Britanniques n’ont pas eu de médaille étant la vitesse par équipes féminines où le combo british a été disqualifié) : selon vous comment celle-ci peut s’expliquer ? Optimisation de l’entraînement et du matériel ? Sublimation due à l’événement et au fait de courir devant son public ? Ou, pour parler pudiquement, autre chose ?
FP : Apparemment, les Anglais ont une programmation sur quatre ans, tandis que nous, en France, nous répétons la même chose chaque année.
Ensuite, les Anglais possèdent un budget colossal par rapport à la France. Ils peuvent tout se permettre. Ils payent leurs athlètes alors que moi je dois me débrouiller tout seul pour trouver un sponsor qui veuille bien me suivre pour l’année en cours. Ils ont une équipe technique incroyablement complète, avec des diététiciens, des nutritionnistes, des préparateurs mentaux et physiques, des ingénieurs, des biologistes, etc. En comparaison, si je souhaite avoir un diététicien ou un préparateur mental, je suis obligé de le trouver et de me le payer.
Nous savons qu’ils créent leur propre matériel et qu’il est élaboré avec des ingénieurs qui travaillent dans la Formule 1. C’est vraiment une autre dimension !
Ils sont partis de zéro car la Grande-Bretagne ne possède pas la culture et l’histoire qu’a la France avec le cyclisme ; ils n’ont pas d’a priori et remettent tout à zéro, redémarrant du début et remettant tout en question après chaque olympiade.
Il y a aussi, bien entendu, le fait qu’ils étaient à domicile. Cela change un homme de courir des J.O. devant son public ! Mais ils avaient aussi tout raflé à Pékin.
Ils possèdent aussi des infrastructures performantes et tout un pays acquis à leur cause.
PCMF : Pour rester dans la « jalousie » française vis-à-vis des Anglais, selon vous, l’équipe britannique de vitesse par équipes aurait-elle dû être disqualifiée suite à la chute volontaire de Haines (afin de pouvoir bénéficier d’un nouveau départ), cet acte allant à l’encontre de l’« esprit sportif » qui avait été invoqué précédemment pour expliquer l’exclusion de quatre équipes de badminton ?
FP : C’est une question difficile. Je ne prendrais pas le sujet du badminton en compte pour répondre à cette question. Pour moi, ils se sont simplement servis du règlement qui dit qu’en cas de chute, l’équipe a droit à un nouveau départ. Ce règlement ne précise pas la nature de la chute. Ils n’ont donc pas triché. C’est sûr que éthiquement parlant ce n’est pas très joli mais, vous savez, quand vous mettez des millions dans un sport, l’éthique est vite oubliée.
C’est comme cet athlète algérien qui a été exclu des Jeux car il devait faire le 800m et que ce n’était pas sa discipline [NDLA : Taoufik Makhloufi, qui, disqualifié pour « manque de combativité » sur le 800m, a finalement été réintégré et a couru « son » épreuve du 1500m, dont il sera le champion olympique] : qu’en est-il alors de Bourgain qui a arrêté la course sur route au bout d’un kilomètre ?
L’éthique et le règlement ne sont tout simplement pas compatibles.
PCMF : Lorsqu’en 2005, le CIO a prononcé la suppression de l’épreuve du kilomètre aux Jeux, quel a été votre réaction première ? Comment êtes-vous parvenu ensuite à vous remobiliser et, plus encore, à intégrer les codes d’une nouvelle discipline pour vous, le keirin ?
FP : Je venais de faire 6e du kilomètre aux Jeux Olympiques d’Athènes. Je n’avais que dix-neuf ans et, sortant des juniors, je venais de vivre ce qui reste au jour d’aujourd’hui le plus beau de mes souvenirs. Je visais déjà l’or quatre ans après. Alors le jour où c’est tombé, c’était terrible !
Ces Jeux d’Athènes m’avaient tellement boostés que, par la suite, je me suis beaucoup blessé entre Athènes 2004 et Pékin 2008 à vouloir trop en faire à l’entraînement. Ma progression ne fut donc pas celle que j’attendais. Durant ces quatre années, je me préparais davantage à intégrer la vitesse par équipes car je n’avais encore jamais pratiqué le keirin.
Tout s’est joué sur une chute en juin 2008. Je me suis cassé la clavicule et la place de remplaçant aux Jeux de Pékin m’est donc passée sous le nez. A mon retour en compétition, en novembre, j’ai gagné mon premier keirin en Coupe du Monde en battant le champion olympique Jason Kenny devant son public ; j’endosse le maillot de leader de la Coupe du Monde. Ce jour là fut le déclic !
J’ai enchaîné avec la Coupe du Monde suivante où je confirme avec une place de 3e en keirin. Par la suite, je suis donc grâce à ces résultats sélectionné pour le keirin aux Championnats du Monde où je fini 2e ! Je suis lancé ! Pour ma première participation aux Championnats du Monde de keirin, j’étais à deux doigts de devenir Champion du Monde ! J’avais trouvé le chemin qui m’emmènerait aux Jeux Olympiques de Londres, mais malheureusement, vous connaissez la suite …

François Pervis et le keirin
PCMF : Quels atouts et quelles nuisances votre vécu de kilométreur vous donne-t-il en keirin ? Est-ce que Florian Rousseau, votre entraîneur, ancien kilométreur devenu spécialiste de la vitesse, vous a aidé et conseillé dans cette transition entre le kilomètre et le keirin ?
FP : Le kilomètre ne m’a apporté que de bonnes choses pour pratiquer le keirin. Tous deux sont des sprints très longs. Le départ du kilomètre m’a donné les qualités de pouvoir bien « jumper » lors d’un keirin pour pouvoir surprendre mes adversaires. Le kilomètre, c’est que du bon !
Je ne peux pas dire que Florian Rousseau m’a aidé car, lors de mes premiers résultats en Coupe du Monde, là où s’est produit mon déclic pour cette discipline, ce n’était pas lui qui me coachait. Et puis le keirin c’est quelque chose que l’on doit ressentir, il faut être malin et avoir le nez fin pour pouvoir anticiper tous les gestes de tes adversaires. Il faut savoir s’adapter très rapidement aux situations auxquelles on est confronté et ça, ça s’apprend très difficilement : tu l’as où tu l’as pas. Je connais des coureurs qui sont beaucoup plus fort que moi physiquement mais qui n’arrivent à rien dans un keirin.

 

PCMF : Vous avez gagné six médailles au Championnats d’Europe et six autres aux Championnats du Monde, mais aucun titre lors de ces deux grands rendez-vous : ne finissez-vous pas par gamberger, vous dire que vous êtes la proie d’une sorte de malédiction, d’être toujours placé mais jamais gagnant (surtout lorsqu’on ajoute qu’aux JO 2008 vous avez chambre commune avec Péraud, finalement médaille d’argent en VTT, et aux JO 2012 avec Bryan Coquard, médaillé d’argent en omnium) ?

 

FP : (rires) Je suis tout de même cinq fois champion d’Europe [NDLA : en fait quatre fois (deux fois chez les juniors et deux fois chez les Espoirs), mais aucune fois chez les Elites] mais c’est vrai que je suis aussi huit fois vice-champion d’Europe [NDLA : deux fois chez les juniors, deux fois chez les espoirs et cinq fois chez les Elites] ! Non, franchement, je ne crois pas en ces choses. Pour moi, ce genre de choses, ce sont des stupidités ! Les gens se prennent la tête avec des choses pareilles pour rien ! Ca ne leur apporte que du négatif en plus ! C’est vrai que je finis toujours 2e ou 3e depuis 2006 aux Championnats du Monde. En même temps, je fais avec ce que je possède ! La nature ne pas doté d’un physique à la Baugé ; je ne suis pas aussi précoce que des Baugé, des Sireau ou des D’Almeida, qui ont été champion du monde vers vingt-deux ans. Les blessures ne m’ont vraiment pas épargné. Mais depuis que je ne me blesse plus, mes chronos s’améliorent d’année en année, pour preuve j’ai accompli en décembre 2011 la meilleure performance de tous les temps jamais réalisée en compétition sur le kilomètre. Peut-être ne possède-je tout simplement pas cette petite chose naturelle qui fait la différence entre le mec qui gagne tout et le mec qui finit toujours deuxième. Mais je ne désespère pas, je suis persuadé que je gagnerais un jour un titre de champion du monde et que mon travail sera récompensé.
PCMF : A propos du Japon, tu en es à ta troisième tournée dans l’archipel (après 2010) : qu’apprécies-tu le plus là-bas ? La confrontation et l’apprentissage d’un autre mode de vie ? Être dans LE pays du keirin ? T’extraire d’une certaine monotonie vécue à l’INSEP ?
FP : J’entame ma deuxième tournée car l’année dernière je n’ai pas pu venir à cause des terribles catastrophes qui ont frappé le pays [NDLR : le typhon et les incidents sur la centrale nucléaire de Fukushima, en septembre 2011].
Tout est dit dans la question. Après dix ans d’INSEP à dormir dans une chambre de douze mètres carrés et à taper au mur tous les soirs pour que le voisin baisse sa musique, j’avais un grand besoin de voir autre chose et de retrouver un peu d’indépendance. Ce qui me plait le plus ici, c’est que je n’ai de comptes à rendre à personne. Je m’entraîne comme je veux, quand je veux. C’est donc un grand sentiment de fierté lorsque tu marches fort !
Je m’entraîne à l’Ecole du Keirin [NDLA : située à Shuzenji] . Tous les coureurs du pays ont été et sont formés ici. Les pistes, de 333 mètres ou de 400 mètres, sont magnifiques, le revêtement en béton ne possède aucune ride ! Ce sont des bijoux ! J’adore rouler sur mon vélo old school que je me suis fait faire ici par un constructeur japonais, ce qui est obligatoire. Il y a le dépaysement total que j’apprécie beaucoup. Ici, je vis plus ou moins à la campagne. La culture est aux antipodes de la culture occidentale : c’est très rustique et j’adore ça.
Il y a les courses aussi ! En une année ordinaire, je ne dois mettre que dix fois un dossard ; au Japon je cours régulièrement et c’est génial ! Comme tu le dis, je suis dans LE pays du keirin : c’est une excitation permanente ! Ca faisait dix ans que j’entendais parler du keirin au Japon par les anciens, je voyais ça comme un mythe, une légende, et maintenant c’est moi qui y suis ! C’est que du bonheur !
Il y aussi le fait que je partage cette aventure avec sept autres coureurs étrangers qui sont habituellement mes adversaires mais ici nous nous serrons les coudes pour réussir et c’est ça que je trouve beau.
PCMF : Le keirin est une discipline requérant un certain degré d’inconscience, si l’on peut s’exprimer ainsi. Comment parvient-on à se concentrer avant une course de cette discipline ? Quelle est ta routine d’approche préalable ?
FP : Puisque c’est une discipline où il faut savoir s’adapter au plus vite aux situations que nous rencontrons, j’essaie d’être le plus tranquille possible. C’est de cette façon, en étant calme, que je me suis rendu compte que je prenais ensuite les meilleures décisions en course. C’est en fait l’instinct qu’il faut laisser parler. J’ai tout de même deux ou trois schémas tactiques dans ma tête et des points-clefs sur la piste où je dois faire certaines choses mais guère plus pour ne pas m’embrouiller l’esprit. En règle générale, je reste très relax. Je me dis que je vais au combat et que je dois me faire plaisir ; quand je décide d’y aller, je donne tout jusqu’au bout. C’est quelque chose qui me réussit bien. Je me dis aussi que je n’ai que deux cartouches, une pour prendre éventuellement la tête et l’autre pour la tenir jusqu’au bout. Et puis c’est parti !
PCMF : Quelles différences y a-t-il entre le keirin propre aux paris japonais et le keirin des compétitions internationales ?
FP : Au Japon, ce sont des courses de neuf coureurs sur des pistes de 400 ou 500 mètres. Il y a un sprint par jour ; du coup, les courses se déroulent sur trois jours (qualifications le premier jour, la demi-finale le deuxième et la finale le troisième). Il y a souvent des arrangements entre coureurs issus de la même région pour élaborer des tactiques que tout le monde connaît. Sur la piste, il y a généralement des lignes de trois coureurs que je dois respecter durant mon sprint. Je suis généralement le premier de ma ligne car aucun Japonais ne veut faire « senko » (m’emmener) à un étranger. Je dois également la veille de chaque course annoncer mon braquet et ma tactique.
Nous sommes enfermés dans le vélodrome durant toute la compétition, ainsi que la veille de celle-ci, sans aucun moyen de communication possible avec l’extérieur – ni Internet, ni téléphone, ni aucun appareil possédant le Wireless, le Bluetooth, la Wifi, etc. -, ceci afin de ne pas influencer les paris qui se font dehors. Les fenêtres sont opaques et nous ne pouvons pas les ouvrir. Les journées sont excessivement longues !
PCMF : Avez-vous déjà songé à devenir, à l’image de ce qu’a fait avec succès Theo Bos, un routier professionnel ?
FP : J’y ai vraiment songé suite à l’arrêt de la structure piste Cofidis : j’avais vingt-cinq ans et j’avais goûté à une équipe professionnelle sur piste et à tous ses bons côtés. Avec la fin de Cofidis piste, je retrouvais un statut d’amateur et repartais pour la galère de trouver des sponsors. J’étais encore jeune et j’ai toujours pris beaucoup de plaisir à rouler sur route. Theo Bos m’avait montré la voie mais lui avait des facilités avec Rabobank que je n’avais pas au niveau français. Avant de passer pro sur route, j’aurais dû montrer au préalable ce que je valais chez les amateurs et c’était un pari risqué de repartir presque à zéro. Je commençais à très bien marcher sur piste : je mûrissais, mes chronos devenaient très très bons. C’eut été prendre trop de risques de passer sur la route. Si comme Bos ou Baugé, j’avais tout gagné ou presque à vingt-cinq ans, là, oui j’aurais osé le faire car la route c’est vraiment mon rêve !
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Comme quoi, le cyclisme version Rollerball, ça existe …
PCMF : Comment expliques-tu qu’à la différence du cyclo-cross, aucun ou excessivement peu de routiers français viennent s’aventurer sur les pistes des vélodromes : exercice trop spécifique, frilosité, dévalorisation de la piste en France, manque d’attractivité populaire, médiatique et/ou financière, perte ou absence d’une culture piste en France, mépris des routiers ?
FP : La plupart des routiers ne sont pas très habiles sur leur vélo. C’est effectivement un peu trop spécifique. Il faut un minimum de préparation, le coup de pédale n’est pas du tout le même et un routier n’a pas vraiment le temps pour ça, même si je suis sur qu’il pourrait le trouver. Mais pour venir faire quelles courses ? Mis à part la journée nationale de l’américaine et un Championnat de France, il n’y a rien d’autre. Le problème vient aussi très souvent de sa hiérarchie qui ne veut pas prendre de risque à laisser les coureurs aller sur piste. Une chute pourrait venir entacher sa saison ; et puisqu’il n’y a pas de courses sur piste assez intéressantes pour un routier …
PCMF : Quelles seraient selon toi les solutions à adopter pour valoriser durablement en France le cyclisme sur piste et ne pas s’en préoccuper uniquement lors des JO ?
FP : Prendre modèle sur le système britannique et créer une équipe nationale, pour que les coureurs déjà présents en équipe de France puissent vivre dignement de leur passion sans qu’ils n’aient à se soucier de savoir comment ils vont faire pour remplir leur frigo. De cette façon, j’arrêterais d’entendre dire : « mon fils est sprinter mais il va faire de la route car sur piste c’est invivable ».
Une solution, qui pourrait aussi être excellente, serait également d’obliger les équipes professionnelles françaises World Tour et Continental Pro à intégrer un sprinter de l’équipe de France dans leur effectif. A raison de cinq coureurs Elites qui font l’équipe de France, il serait facile de leur trouver une équipe. Cela donnerait déjà plus de crédit aux pistards ! Il faudrait mettre en place aussi un système de points UCI pour les pistards, de cette façon, la venue d’un pistard dans une équipe professionnelle sera la bienvenue.
Pour le reste, je pense que ça reste une histoire d’éducation : en Australie, les jeunes sont formés sur piste, idem en Grande Bretagne. En France, il nous manque cette culture, mais pour ça, il nous faudrait des vélodromes couverts. Donc je dirais que c’est tout un ensemble de choses à changer et à faire évoluer, surtout au niveau des mentalités.
PCMF : Tu as longtemps fait et fais encore (depuis l’arrêt de la section piste de Cofidis) la chasse aux sponsors potentiels via de multiples démarches, comment analyses-tu la disproportion flagrante entre les résultats obtenus par les pistards français et leurs conditions de rémunération ? Cette chasse incessante aux partenaires perturbent-elles dans une certaine mesure ta préparation sportive stricto sensu ?
FP : La France a été la première nation à mettre en place des infrastructures – l’INSEP, le vélodrome d’Hyères – au service des athlètes, ainsi que les ressources humaines qui vont avec. Les résultats ont tout de suite suivis.
Puis on a trop pris l’habitude en France d’avoir les pistards champions du monde tous les ans depuis vingt ans ; les bonnes choses se sont perdues petit à petit. J’ai une connaissance, Thomas Bouhail, premier champion du monde français depuis cent ans dans un sport, la gymnastique, qui je pense est loin d’être médiatisé comme la piste ; désormais, il est plus médiatisé que nous pistards et gagne certainement mieux sa vie qu’un Français tous les ans champion du monde. J’ai pris cet exemple pour vous montrer qu’il y a certainement trop de routine dans la tête des gens à voir les pistards champion du monde chaque année.
Mais ce qui nous fait le plus de mal, c’est que nous avons le Tour de France et que lorsque l’on parle de vélo en France on pense tout de suite « Tour de France ». Il ne laisse que très peu de place aux autres.
Forcément, la chasse aux sponsors me pénalise dans le sens où je dois me rendre à des rendez vous qui me procurent de la fatigue supplémentaire qui ne devrait pas être. De plus, je ne peux avoir aucun avenir à moyen et long terme : aucun banquier ne veut me suivre dans mes projets car ma situation est trop précaire. Moralement, c’est dur de se dire que qu’on en bave deux fois par jour, qu’on endure tous ces efforts et ces sacrifices depuis des années pour ne pas être considéré au final.
PCMF : Au fond, et c’est au licencié en management que je parle, face à la conjoncture de crise et au peu d’intérêt porté par les sponsors français au cyclisme sur piste, ne faudrait-il pas modifier le modèle économique de rémunération des pistards ? Puisque la piste est une discipline éminemment individuelle, ne faudrait-il pas imiter le domaine de la musique qui face à la crise du disque, développe le merchandising autour de l’artiste personnalisé, ainsi que le crowdfunding avec des contreparties pour la fan-base, etc. ?
FP : Je fais tout mon possible pour développer le merchandising autour de moi, pour justement attirer les sponsors. Nous autres pistards, nous n’avons pas beaucoup de choix : seul un sponsor peut nous faire continuer à pratiquer notre sport au plus haut niveau.
Nous pourrions susciter davantage l’intérêt si nous pouvions gagner des points UCI dignes de ce nom en Coupe du Monde et aux Championnats du Monde. Là, nous n’aurions plus de problèmes car un pistard sera de toute façon moins payé qu’un routier et si le barème de points UCI gagnés sur nos compétitions était à la hauteur de celui présent sur la route, notre cote grimperait en flèche et nous prendrions alors de la valeur aux yeux de tous.
Bilan et perspectives proches de sa carrière
PCMF : Si tu ne devais retenir qu’une seule chose de ta carrière cycliste accomplie jusqu’ici, que serait-ce ?
FP : Il me semble que le plus dur ce n’est pas de gagner ou de ne pas gagner mais bien de s’entraîner comme un dingue deux fois par jour, 340 jours par an, de se vider les tripes à chaque effort, de faire tout ce que j’ai pu faire comme sacrifices pour en arriver là où je suis aujourd’hui. Car, en regardant mon palmarès, même en faisant toujours 2e ou 3e, même en manquant de ce petit plus nécessaire pour atteindre la plus haute marche du podium, j’’ai fait avec ce que la nature m’a donné et je pense que, jusqu’à présent, je ne m’en suis pas trop mal sorti.
PCMF : Quel est ton vélodrome préféré, la piste sur laquelle tu aimes le plus rouler ?
FP : J’adore les pistes de Cali et Gent car ce sont des pistes avec de tout petits virages qui te tassent vraiment bien quand tu rentres dedans à toute vitesse. Tu as ensuite en sortie de virage cette sensation que tu es projeté du virage et que tu as gagné en vitesse. C’est génial !
PCMF : As-tu déjà songé à ta reconversion post-cyclisme ? Si oui, dans quelle branche envisages-tu de te recycler ?
FP : J’ai toujours souhaité devenir sapeur-pompier professionnel. D’ailleurs j’ai été volontaire dans mon village quelques années. Mais, plus que tout, j’aimerais devenir directeur sportif d’une équipe pro sur route. J’ai aussi le souhait, s’il m’en vient l’occasion, de devenir directeur d’un vélodrome couvert pour pouvoir transmettre mon savoir faire aux jeunes, dans les clubs et les équipes qui viendraient s’entraîner sur piste.
J’aimerais aussi être directeur sportif d’une équipe pro piste comme Cofidis le fut à une époque.
PCMF : Quelle est l’anecdote la plus drôle que vous ayez vécu dans le milieu cycliste, et que le grand public ignore ?
FP : Si elle n’est pas connue du grand public, c’est peut être qu’elle doit le rester (rires) Plus sérieusement, c’est vrai que j’ai la chance de voir et de vivre pas mal de choses que je n’aurais pas eu la possibilité de faire si je n’avais pas ce statut, mais pour trouver l’anecdote la plus drôle, rien ne me vient à l’esprit.
PCMF : Sur le plan sportif, après cette tournée japonaise, quel sera ton prochain objectif ?
FP : Ce seront, au mois de février, les Championnats du Monde à Minsk, en Biélorussie.
Le jeu PCM
PCMF : Des ingénieurs du son sont venus réaliser début septembre des captures sonores pour le mode piste de Pro Cycling Manager. Comment cela
s’est-il passé ?

FP : Ils sont venus durant un entraînement de vélocité qui comprenait six sprints de 60 à 250 mètres, avec différents braquets. J’ai utilisé durant ces sprints mes roues de course en carbone pour être au plus près de la réalité. J’avais sur moi un micro pour enregistrer les sons du vent, du vélo, des roues et de la piste. Un ingénieur prenait aussi des sons depuis le bord de la piste. Puis ils m’ont installé un énorme micro au bout d’une perche d’environ un mètre en direction de mon boyau, au plus près de la piste, afin de capter encore plus précisément le son du boyau sur le bois ainsi que les bruits et vibrations dans le carbone des roues et du cadre.
Les ingénieurs m’ont dit qu’ils avaient exactement ce qu’ils voulaient. Ca risque donc de très bien rendre dans le jeu et d’être une nouvelle fois au plus près de la réalité.
PCMF : Quelles sensations cela fait-il d’avoir un double dans un jeu vidéo ? D’ailleurs, lorsque tu joues au mode piste de PCM, prends-tu systématiquement ton avatar ou t’arrive-il de jouer avec d’autres « confrères » ?
FP : Avoir un avatar, c’est très plaisant ! C’est une agréable marque de reconnaissance. Pour être franc, je ne joue pas beaucoup à l’option piste car j’en fais déjà tous les jours ! Je suis à fond dans le mode carrière, ce qui permet de m’évader justement un peu du monde de la piste et de toucher un peu plus à mon rêve.
PCMF : Si tu avais une réclamation ou une suggestion à faire à Cyanide pour améliorer le jeu, laquelle serait-elle ?
FP : En voilà quelques-unes :
  • Mettre plus en évidence les TTT.
  • Actualiser les photos de coureurs
  • Accentuer visuellement les bergs sur les Flandriennes et les monts sur les Ardennaises.
  • Mettre davantage du vent sur les Flandriennes ou parfois sur Paris-Nice comme créer des bordures.
  • Faire que les équipes de l’I.A. puissent aussi créer de vraies bordures et que celles-ci aient la possibilité d’aller au bout.
  • Pouvoir intégrer une autre équipe en fin d’année
  • Revoir quelques statistiques : par exemple, je ne pense pas que Thibaut Pinot mérite 85 en montagne ; Turgot mériterait au moins 75 en pavés et Bouhanni plus de 75 en sprint ; je ne pense pas que Romain Feillu soit si bon rouleur que ça pour avoir 76 en plaine …
  • Et, surtout, avoir des notes de sensations (de -5 à +5) toujours positives lorsque le coureur est au-dessus de 90/95% de forme.
Interview de François Pervis
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