C’est une double révolution copernicienne qui prendra certainement corps en 2013 pour l’équipe Euskaltel-Euskadi. Inquiète (à juste titre ?) pour son avenir à long terme parmi le gratin du cyclisme mondial, la formation basque envisager de renier sa spécificité identitaire (qui lui donne pourtant ce statut à part et lui amalgame de nombreux soutiens) afin de lui permettre de sauvegarder durablement sa place en WorldTour. C’est en tout cas ce qu’a affirmé le manager de l’aréopage orange, Igor Gonzalez de Galdeano au site bicyclismo.com, en une novlangue néolibérale mondialisée effrayante pour les sympathisants de l’esprit fondateur d’Euskaltel-Euskadi : « La philosophie de l’équipe est née à un moment précis, avec un règlement particulier, un calendrier particulier, des niches de cyclistes déterminées. Maintenant, tout a changé. Les règles du jeu ont totalement changé, l’UCI WorldTour a été créé, la concurrence est beaucoup plus grande. Il faut comprendre ce processus comme une évolution. Sur ce chemin, il s’agit de ne pas s’enterrer dans une structure et une situation qui va à l’encontre de la réalité toujours plus globalisée ».

Cette « évolution », soi-disant inéluctable, se décline en deux points.

La première, la plus symbolique, consiste en le recrutement de coureurs étrangers au Pays Basque et au cyclisme basque**. Certes, des non-Basques ont déjà porté la tunique d’Euskaltel, au premier rang desquels leur leader emblématique Samuel Sanchez***, natif d’Oviedo (dans les Asturies) ; Euskaltel-Euskadi a même eu en son sein un coureur vénézuélien, Unai Extebarria (qui devait sa présence à son ascendance basque). Sauf que ces coureurs étaient issus du creuset du cyclisme local, de la formation basque (l’équipe amateurs espoirs Naturgas Energia, la formation continentale Orbea, entre autres). La volonté des dirigeants de recruter des coureurs n’ayant aucune attache, fût-ce de près ou de loin, avec le Pays Basque, afin qu’ils apportent leur capital ou leur potentiel de points susceptible de contribuer au maintien du standing d’Euskaltel-Euskadi, marquera donc une césure nette avec la philosophie en vigueur jusqu’ici, depuis la création de l’équipe en 1994 (ce qui fait d’Euskadi le « sponsor » d’équipe le plus ancien, derrière la Lotto (depuis 1985) et l’association vaticane Amore & Vita (depuis 1990)).

Cet ancrage historique éclaire plus encore le glissement axiologique qui tend à s’opérer en ce moment sous la conduite de Gonzalez de Galeano. La forme primitive d’Euskaltel-Euskadi a été créée voici dix-huit ans en tant que minuscule entité visant à promouvoir le cyclisme basque, sous l’égide de la Fondation cycliste Euskadi. Il n’y avait pas là d’ambition d’accéder au haut niveau, pas d’exigence de résultats, juste une volonté de fédérer toutes les forces vives du vélo made in Euskara. Et c’est justement cette unité et cette fierté qui conféraient à l’équipe ce supplément d’âme, ce particularisme joyeusement anachronique qui l’apparentaient à leurs cousins footeux de l’Athlétic Bilbao. Aujourd’hui, c’est la nécessité impérieuse de figurer en WorldTour qui contraint les dirigeants d’Euskaltel à renier les valeurs et principes premiers de l’équipe ; c’est ce switch des préoccupations qui amène à la tentation de recourir à tous les moyens disponibles pour satisfaire ce qui est devenu l’objectif principal.

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Des enfants laissés sur le carreau. Et sans chaise.
Car l’excellent classement de Samuel Sanchez (8e, 252 pts) ne suffit plus à garantir l’immunité au collectif basque. En effet, derrière lui, si ce n’est pas le déluge, ça y ressemble : Mikel Nieve, 10e du dernier Giro, est 44e (98 pts), Jon Izagirre 73e (46 pts). Igor Anton n’a lui marqué aucun point (zéro, nada, que dalle ; une incongruité qui démontre aussi bien l’ineptie du système de classement opéré par l’U.C.I. WorldTour que la saison médiocre du grimpeur basque, 118e du C.Q. Ranking), dans l’attente de ses résultats sur la Vuelta, au cours de laquelle il a souvent connu, les années précédentes, la malchance. Au classement WorldTour par équipes, Euskaltel-Euskadi se classe à la 13e place (424 points) sur 18 équipes, un rang loin d’être infamant mais qui n’augure un avenir spécialement radieux dès lors que les équipes qu’elle devance au WorldTour, telles Saxo-Bank, Vacansoleil ou la FDJ, voire les équipes Continentales Pro (Cofidis, Argos-Shimano, etc.), peuvent recruter sans restriction territoriale des coureurs susceptibles de leur apporter des points, en puissance ou en acte. A cela se double un doute sur la capacité d’ Euskaltel-Euskadi à renouveler ses cadres : Sanchez, Anton, Nieve tournent actuellement à plein régime (malgré une année 2012 blanche (ou noire, c’est selon …) pour Anton) mais sont bien seuls et Sanchez, le meilleur d’entre eux, ne tardera pas à décliner d’ici deux ans, maximum trois ; la relève, symbolisée par Romain Sicard, tarde à émerger ; quelques bons coureurs basques éligibles chez Euskaltel-Euskadi – Zubeldia, Koldo Fernandez, Castroviejo, Intxausti, Erviti – évoluent actuellement hors du giron laranja (orange en basque).
 
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Bukkake raté

En soi l’ouverture d’Euskaltel-Euskadi au monde n’est pas une mauvaise chose ; on ne peut soutenir à vaste échelle cette idéologie du cloisonnement sur soi, à la lisière du nationalisme. Cependant, la doctrine d’Euskaltel, qui serait insupportable sur elle était généralisée à toute la planète, n’avait de valeur que parce qu’elle figurait une exception, un îlot de résistance à l’environnement ultralibéral d’un sport qui n’hésite pas à promouvoir directement en WorldTour des courses insipides seulement en vertu du potentiel d’expansion du cyclisme qu’elles sont censées représenter (n’est-ce pas les Tours de Pékin et de Hangzhou ?), à protéger des « vampires » sa machiavélique tête de gondole survivante du crabe et septuple maillot jaune (Lance Armstrong), d’un sport dont les équipes, pour certaines éphémères, ne bénéficient pas de l’enracinement territorial dont jouissent les clubs de foot ou de rugby via les infrastructures (stades, centres d’entraînement et de formation) et les manifestations (matches à domicile tous les quinze jours) qu’elles induisent, d’un sport qui laisse mourir certaines de ses courses historiques (Grand Prix du Midi Libre, Championnat de Zürich, Polymultipliée/Trophée des Grimpeurs, Milan-Turin, etc.).

Ce lien d’une étroitesse incomparable entre une équipe et son territoire, cette insoumission au diktat du zeitgeist économique s’illustrait également par sa structure, qui tranchait par rapport à la norme des SAOS (Société Anonyme à Objet Sportif). Or, dans le nouveau projet envisagé, la Fondation cycliste Euskadi, en partie financée par les cotisations des socios, ne serait plus partie intégrante du fonctionnement de l’équipe, se consacrant au développement d’activités tournées fondamentalement vers la formation des coureurs dans les catégories inférieures, avec l’équipe Orbea, et le développement du cyclisme au Pays Basque (campagnes de sensibilisation dans les écoles basques, encadrement des jeunes cyclistes régionaux (qu’ils envisagent de faire ou non de la compétition), etc.) ; la compagnie téléphonique Euskaltel, co-sponsor de l’équipe depuis 1998, prend seule les rênes, Jusqu’ici, l’équipe professionnelle n’était que le sommet d’une pyramide solidaire dont le socle était la Fédération cycliste Euskadi, créée en 1993 suite au succès populaire du départ du Tour de France à San Sebastian, l’année précédente. Désormais l’équipe pro sera une entité à part entière, désolidarisée de la Fondation. Le retrait du manager historique, Miguel Madariaga, au profit d’Igor Gonzalez de Galdeano, imprime un peu plus encore ce bouleversement de paradigme.

Ceci s’accompagne d’un renforcement de la contribution d’Euskaltel, qui va injecter sur les trois prochaines saisons la coquette somme de 27M€ (soit 9M€ par an, donc une contribution augmentée quasiment de 150% par rapport aux 3,5M€). Ce qui permettra à l’équipe basque de bénéficier d’un budget en hausse (son budget était de 7M€ cette année) malgré le retrait financier des collectivités locales et des petits sponsors régionaux, frappés par la dureté de la crise économique, particulièrement vivace du côté de la péninsule ibérique entre taux de chômage record, précarisation de la population, mesures d’austérité en pagaille et nette récession économique.

Toutefois, avec ce délacement, peut-être indispensable mais sans nul doute regrettable, relatif mais pas anodin pour un sou, entre l’équipe Euskaltel et le Pays Basque, Euskaltel tend à devenir une équipe comme les autres. Un peu plus forte peut-être, mais qu’importe, elle y perdra certainement beaucoup plus qu’elle n’y gagne.

 

** La rumeur la plus insistante évoque le nom de Jure Kocjan (sprinter slovène de Type 1-Sanofi). Deux ou trois autres « étrangers » sont également envisagés, mais aucune piste n’a pour l’heure filtrée.
*** Jesus Aizkorbe, responsable presse/communication de la Fondation cycliste Euskadi, raconte le début de l’adoption de Samuel Sanchez par les Basques : « Il a été découvert par Mikel Madariaga, le fils de Miguel, président de la Fondation. Il avait disputé une épreuve internationale juniors au Pays Basque sous le maillot de la sélection espagnole. Tous les autres avaient déjà signé dans un club amateurs. Pas lui. Le fils Madariaga a appelé son père pour lui dire ‘‘prends-le, je suis sûr qu’il est bon !’’ Son père lui a demandé s’il était vraiment certain. Mikel le lui a confirmé. Samuel s’est alors vu proposer un contrat pour rentrer dans l’équipe amateurs d’Euskaltel. L’histoire a débuté ainsi. »

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Basque bisque rage ?